dimanche 28 avril 2013

Je ne le dirai pas deux fois…

J'ai choisi l'expatriation pour des raisons professionnelles et personnelles. Je laisse un emploi de Maître de Conférences dans une université du sud de la France, un salaire situé au-dessus de la médiane des salaires français, et la sécurité de l'emploi du statut d'enseignant-chercheur, pour un contrat à durée déterminée renouvelable dans un pays, l'Argentine, qui est loin d'être un modèle de stabilité. 

Une consultation de la grille salariale des maîtres de conférences (classe normale, 8ème échelon) permet de s'assurer aisément qu'il ne s'agit pas d'un cas d'exil fiscal. Mon sueldo dépend ici aussi d'une grille salariale et, s'il est proportionnellement plus élevé que mon salaire français en termes de pouvoir d'achat (ce qui témoigne déjà de la différence de reconnaissance des universitaires dans les deux pays), il est naturellement libellé en Pesos, monnaie fortement dévaluée après la crise de 2001 et en outre difficilement convertible. Tout cela, dont je ne reparlerai plus, pour tordre le cou aux arguments imbéciles selon lequel les chercheurs quittent la France en quête de meilleurs salaires.

Je quitte la France parce que je ne supporte plus les conditions de travail de l'Université française (et des universités de la majorité des pays d'Europe) et de la formation des enseignants. Ce blog ne sera pas le lieu d'exposer cette situation: le lecteur intéressé pourra se reporter aux sites de Sauvons La Recherche, de Sauvons L'Université ou du GRFDE parmi de très nombreux autres. 

Pour le dire brièvement et une fois pour toutes:

  • en ce qui concerne la recherche, si une association à but non lucratif est considérée comme mal gérée lorsque la part des dépenses consacrées à sa raison sociale même tombe en-dessous des 75%, que dire de la situation des chercheurs en France qui dépensent moins de 25% de leur temps à faire de la recherche, tout le reste étant passé à chercher des financements, monter des projets, rédiger des rapports intermédiaires, rédiger des rapports finaux, évaluer les rapports des autres etc.?
  • en ce qui concerne ma spécialité, la formation des enseignants, comment continuer à participer en conscience à des dispositifs qui non seulement ignorent mais encore s'opposent à à peu près tous les acquis de la recherche en didactique et éducation depuis trente ans - sans compter l'expérience des enseignants eux-mêmes et de tous les professionnels du domaine? Comment former à quelque chose à laquelle non seulement je ne crois pas mais encore et surtout dont je sais qu'elle est au mieux inutile et au pire néfaste?
Pessimisme? Non: cela fait depuis au moins six ans que tout ce qu'ont prédit toutes les Cassandre se réalise. Donc lassitude, plutôt.

Je crois comme bien d'autres que les universitaires ont vu leur capacité de résistance s'étioler comme dans la fameuse allégorie de la grenouille que l'on peut cuire à condition de ne chauffer l'eau que très lentement: lorsque l'eau est devenue vraiment trop chaude, il est trop tard, la grenouille est trop affaiblie pour sauter hors de la marmite. Disons que les circonstances ont fait que j'ai pu saisir l'occasion de donner un coup de pied salvateur. L'avenir dira ce qu'il en est de la cacerola dans laquelle j'ai sauté.

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